Attention : Radio Workshop est produit pour l’oreille et conçu pour être entendu. Si vous en avez la possibilité, nous vous encourageons vivement à écouter l’audio, qui contient des émotions et des accentuations qui n’apparaissent pas sur la page. Les transcriptions sont générées par une combinaison de logiciels de reconnaissance vocale et de transcripteurs humains, et peuvent contenir des erreurs. Veuillez vérifier l’audio correspondant avant de le citer dans la presse. La version officielle des podcasts de Radio Workshop est l’audio.
[MUSIQUE]
Bob (narrateur): C’est le matin du 2 février 2022. La ville de Kinshasa se réveille après une longue nuit de pluie. Je descends au premier niveau de mon immeuble récupérer mon téléphone. Je l’avais laissé auprès d’un ami pour qu’il le recharge avec son générateur qu’il avait laissé tourner une bonne partie de la nuit.
J’allume mon téléphone. Je vais sur Facebook et je vois les premières publications qui annoncent l’accident.
France24: La République démocratique du Congo, marquée par un autre drame, celui de la chute d’un câble haute tension à Kinshasa. Le premier bilan fait état de 26 morts électrocutés.
AfricaNews: Le drame a été provoqué par la chute d’un câble à haute tension dont la partie chargée d’électricité est tombée dans un caniveau rempli d’eau de pluie qui déborde sur le marché Matadi Kibala. Les victimes sont en majorité des vendeurs du marché mais aussi des acheteurs et autres passants qui avaient les pieds dans l’eau. Les câbles de la SNEL la Société nationale d’électricité de la RDC, mal entretenus et souvent dénudés selon des habitants de Kinshasa, constituent un réel danger pour les populations.
Bob (narrateur): Je m’appelle Bob Yala. Je suis un journaliste congolais. Mon pays connaît depuis plus de 30 ans une crise énergétique qui rend la vie quasi impossible. Ici la déchéance des infrastructures fait que moins de 10% de la population a accès à l’électricité. Beaucoup s’y sont résignés, mais le drame de Matadi Kibala a choqué les consciences.
[CLAQUEMENT DE PORTE DE VOITURE]
Bob (scène): Ce matin, je m’en vais faire un tour à Matadi Kibala. J’aimerais en savoir un peu plus sur les circonstances de cet accident.
Bob (narrateur): Je mets plus d’une heure et trente minutes pour faire le trajet de 28 kilomètres qui séparent le centre ville de Kinshasa et Matadi Kibala. Pour un tel trajet ici, c’est bien normal.
Imaginez vous, le marché était installé le long de la nationale numéro 1 sur plusieurs centaines de mètres, juste sous les fils de la ligne haute tension Inga-Shaba.
Depuis l’incident, le marché a été fermé. Le lieu autrefois bouillonnant d’activité est devenu un désert. Officiellement plus personne n’a le droit de venir vendre ici.
Bob (scène): Je ne connais pas l’endroit précis où s’est passé l’accident. Mais on va se renseigner ensemble.
[BRUITS DE CIRCULATION]
Des petits renseignements vites obtenus sur place nous permettent d’arriver sur le lieu du drame. À cet endroit précis où je me trouve maintenant est tombé le câble haute tension qui a causé l’accident.
Je vois un monsieur qui sort de la parcelle juste en face de moi. Je vais essayer de lui parler.
Bonjour monsieur…
Monsieur Bami: Moi je m’appelle Monsieur Bami, j’habite précisément à Matadi Kibala commune du District de Mwamba.
Bob (narrateur): Monsieur Bami est technicien maçon. Il était là à Matadi Kibala le 2 février…
Bob (scène): Je vois tout en haut de nos têtes, il y a des câbles.
Monsieur Bami: Il y a des câbles.
Bob (scène): Pouvez vous pointez du doigt nous montrer, c’est quel câble qui s’est coupé?
Monsieur Bami: Celle-la, tu vois qui est coupée.
Bob (scène): Uh-huh.
Monsieur Bami: Uh-huh.
Bob (scène): C’est coupé et c’est tombé ou ça? Ça pendait à quel niveau?
Monsieur Bami: Ça pendait à partir de là. De la croisement de l’avenue jusqu’ici.
Bob (narrateur): Au moment où le câble est tombé, Monsieur Bami se trouvait à 50 mètres – à l’église Liloba Na Nzambe où il faisait la prière matinale.
Monsieur Bami: On a entendu des bruits, des cris de guerre comme ça, “Au secours! Au secours!” “Tout koufi! Tout koufi!” comme on le dit chez nous. Donc, c’est pour ça qu’on a voulu peut être monter en haut là bas, voir de loin qu’est ce qui se passe. On a vu que des mamans qui s’écroulaient dans l’eau. Il y avait aussi des papas qui s’écroulaient dans l’eau.
Bob (scène): De loin vous avez donc vu les personnes qui ont été frappées par l’électricité?
Monsieur Bami: Oui.
Bob (scène): Il y avait il beaucoup des personnes qui sont mortes que vous avez vu vous pendant que vous êtes montés pour voir?
Monsieur Bami: Oui, c’était – moi personnellement, j’ai vu au moins 22 ou 21 personnes, mais dans l’ensemble, c’était au moins 26 personnes. Vraiment, c’était catastrophique.
[MUSIQUE]
Bob (narrateur): Monsieur Bami dit que la SNEL a mis environ 35 longues minutes avant de couper le courant. Les victimes étaient en majorité des femmes, des vendeuses.
Maman Anne est vendeuse de légumes dans un petit marché à Limeté, et certaines personnes ont fini par baptiser ce marché, le petit Matadi Kibala. Elle nous confie que ce drame lui à fait beaucoup de peine.
Maman Anne: Moi personnellement, ça m’a fait très mal. J’ai été peiné d’apprendre dans quelles conditions elles sont mortes électrocutées. Ça m’a vraiment fait très mal. Et depuis nous aussi dans ce petit marché, commençons à craindre que la même chose puisse nous arriver.
Bob (narrateur): Maman Anne m’explique que depuis l’installation de cette ligne haute tension, elle n’a jamais vu d’activité d’entretien. Autant dire que le drame de Matadi Kibala s’inscrit dans la lignée d’une mauvaise gestion chronique à l’échelle de la RDC toute entière.
Maman Anne: Hier par exemple, on a dormi sans courant parce qu’il y avait court-circuit à cause des câbles électriques en mauvais état. On est trop nombreux dans mon quartier, il y a trop de maisons avec beaucoup d’appareils électroménagers, la charge est trop grande et les câbles électriques ne supportent plus.
Bob (narrateur): Alors que la plupart des congolais sont résignés à vivre maintenant sans courant, d’autres ont décidé de se battre pour leurs droits.
Bob (scène): Je viens de prendre la route, direction le centre ville de Kinshasa. Là bas, j’ai rendez-vous avec Luciano Bassafo. C’est un jeune de 27 ans. Il est décidé, lui, à ne pas rester silencieux face à ces problèmes généralisés de manque d’électricité dans la ville.
Bob (narrateur): La première fois que je rencontre Luciano, c’était devant le siège de la SNEL, la Société Nationale de l’Électricité, lors d’un sit-in de trois jours pour dénoncer le drame de Matadi Kibala. Et c’est là que je le retrouve aujourd’hui encore.
Luciano: La situation est inacceptable parce qu’au Congo, nous sommes un pays potentiellement riche et l’électricité ne devrait pas être un problème qui, à tout moment, devrait déranger la population congolaise.
Bob (narrateur): Pour Luciano, ce drame de Matadi Kibala a une importance capitale dans son engagement pour l’accès à l’électricité pour tous en RDC. Car c’est au lendemain de la chute du câble qu’il décide de fonder un mouvement citoyen.
Luciano: Telema Pona Écolo c’est un mouvement patriotique et apolitique de la jeunesse consciente pour le développement du Congo. C’était pour nous une manière, un moyen de rendre hommage à nos illustres mamans disparues, électrocutées même sans vivre et de leur vivant, une vraie électricité. Parce que, vous savez, le développement commence par l’énergie. C’est même l’unité de mesure de tout développement. Alors, raison pour laquelle nous, les jeunes, nous croyons fermement qu’ il faut faire un pas pour les changements. Il faut se lever en un seul homme, créer des mouvements pareils pour lancer ces processus parce que c’est grave. L’heure est grave. Il faudrait se lever.
Bob (scène): Mais ces problèmes là, de manque de courant, ça fait des décennies que ça dure et on constate que ça s’aggrave malheureusement de jour en jour. Mais est-ce que tu penses vraiment qu’une solution est possible un jour?
Luciano: À notre niveau, nous exigeons pas les changements en un clin d’œil. Nous voulons lancer les processus du changement. Nous sommes là pour lancer ces processus du changement, voire de nous-mêmes, vivre ces changements là, vivre ces processus là, voir naître à nos dirigeants l’esprit du développement. Nous voulons voir des actions concrètes. C’est ça. Et jusque-là, nous organisons des rassemblements de sensibilisation pour mettre la pression à nos dirigeants afin d’atteindre une bonne volonté politique pour les changements toujours.
[MUSIQUE]
Bob (narrateur): Je m’appelle Bob Yala. Je suis reporter pour Radio Workshop. Rejoignez-moi au prochain épisode où nous allons explorer ensemble les conséquences du manque d’accès à l’électricité en RDC.
Ce programme a été produit par Jo Jackson, Clémence Petit-Perrot et Mike Rahfaldt. Musique par Blue Dot Sessions.
Cet épisode de Radio Workshop et le travail de Children’s Radio Foundation ne seraient pas possibles sans le soutien financier de The 11th Hour Project.
Visitez notre site sur childrensradiofoundation.org pour plus d’informations et pour soutenir notre travail.
Au revoir et à la prochaine…