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[MUSIQUE]
Bob: Il y a 15 millions d’habitants à Kinshasa et personne n’a de l’électricité 24 heures sur 24. Vous vous demandez peut-être comment une telle ville peut fonctionner dans le noir. Et bien, ce n’est pas sans conséquences. Surtout quand l’accès au courant peut être une question de vie ou de mort, comme dans une maternité.
[MUSIQUE]
Ados: J’ai reçu un appel d’un très grand musicien de la République Démocratique du Congo qui m’annonce que l’un de ses guitaristes venait de perdre son fils qui était prématuré. Mort à cause d’une panne d’électricité. Il est trois heures du matin, l’électricité part et vous savez très bien que les enfants prématurés ont besoin de chaleur. Et cette panne a duré plus de quatre heures du temps. Et l’enfant de ce musicien est décédé. Alors lui il m’a dit, “Tu es député national. Tu dois dénoncer celà.”
Bob: Ados Ndombasi est un parlementaire congolais. À la suite de cette conversation, il se rend au service néo-natal du plus grand hôpital de Kinshasa où le bébé vient de mourir. Il arrive tout juste au moment d’une autre coupure de courant. Il commence à filmer la scène…
[FIN MUSIQUE]
Ados (vidéo): Donc je suis à l’hôpital Mama Yémo. Euh voilà, le courant vient de partir. Voilà, il y a des mamans, des mamans qui sont là. Il y a des dizaines d’enfants qui sont dans les couveuses qui risquent de mourir parce que l’hôpital Mama Yémo n’a pas de groupes électrogènes. Le courant vient de partir, ça fait déjà trois minutes que je suis là, à Mama Yémo.
Bob: Après avoir vu cette vidéo, je décide de prendre contact avec Ados. Nous nous retrouvons dans son bureau, plongé dans la pénombre à cause d’une coupure d’électricité de plus. Il me raconte ce qui s’est passé à Mama Yemo ce jour-là.
Ados: J’arrive sur place, je demande où se trouve la salle où ou les prématurés sont gardés, ont m’y amène, et sur place. J’arrive le courant part devant moi, l’électricité par devant moi. J’attends dix minutes, vingt minutes, trente minutes, une heure, deux heures, trois heures, quatre heures. Je fais une vidéo, je crie au scandale et je vois les corps des enfants qui décèdent devant ma personne.
[MUSIQUE]
Bob: Ados voit deux bébés mourir ce jour-là. Sa vidéo devient immédiatement virale. Elle déclenche une vague d’indignation dans la population et suscite beaucoup de témoignages pour dénoncer des accidents similaires. Ça, c’était il y a deux ans. Depuis, les coupures de courant se sont encore intensifiées. Je décide d’aller voir de mes propres yeux la situation dans un hôpital de la ville.
[FIN MUSIQUE]
[SONS DE RUE]
Bob: Il est 9h du matin quand je descends du taxi à Masina, une commune périphérique de Kinshasa. Je me faufile entre les motos, les voitures et les piétons. J’arrive à la porte d’entrée du Centre de Santé de Référence Pilote, un des hôpitaux de la commune, qui fait aussi office de maternité.
[SONS ENTRÉE DE l’HÔPITAL]
Bob: Le Dr. Lydie Mungenda m’attend sur le seuil du petit bâtiment. Elle est médecin chef de staff dans cet hôpital. Et elle a accepté de me le faire visiter.
Dr. Lydie : Venez. Nous allons entrer.
Bob: Nous entrons et tout de suite nous nous engageons dans un petit couloir. Le centre de santé compte une trentaine de lits. À l’intérieur, les locaux sont assez sombres et mal aérés. Nous entrons dans une pièce qui fait office de pharmacie. Une employée de l’hôpital est en train de ranger des médicaments sur une étagère.
Dr. Lydie: Bonjour… Vous voyez la maman est en train de travailler avec la torche. Normalement on devrait avoir la lumière et le conditionnement d’air.
Bob (scène): Et l’électricité ici, on sait que ça part quand ça veut et ça vient quand ça veut. Est-ce que c’est possible de pouvoir faire une journée entière sans coupure d’électricité?
Dr. Lydie: Ah non, non, non, non. Ça, je n’ai jamais vu. Je n’ai jamais vu ici. Chaque jour qu’il y a coupure. C’est chaque jour qu’il y a coupure.
[MUSIQUE]
Bob: Début 2022, le centre a reçu un don d’un générateur électrique assez puissant. Mais il fonctionne au gasoil et comme les revenus du centre sont très limités, il n’est pas mis en marche régulièrement. Nous arrivons dans la salle d’échographie. Le Dr Mugenda me dit qu’elle a fait plusieurs demandes afin d’obtenir une ligne électrique à l’usage exclusif de l’hôpital. La SNEL – la Société nationale d’électricité, n’a jamais répondu.
Dr. Lydie: Ça, je pense que vous êtes le premier à passer pour venir nous écouter, parce que chaque fois nous déclarons, nous réclamons. Nous sommes en difficulté, énormes difficultés pour travailler. Juste à côté de nous, ici, il y a un appareil d’échographie. Devant une situation d’hémorragie, vous avez une femme qui saigne, on doit réaliser une échographie en urgence, mais il n’y a pas d’électricité. Il faut aller acheter des carburants et parfois le groupe peut poser problème pour réaliser cette échographie, la sauver – la femme, et l’enfant qu’elle porte.
[MUSIQUE]
Bob: Enfin, le docteur Mugenda m’emmène au bloc opératoire.
Dr. Lydie: Voyez, nous avons cette lampe qui sert pour les interventions, mais quand il n’y a pas de courant il n’y a pas moyen de travailler avec ça. Par manque d’électricité, nous opérons parfois comme ça, sans avoir cette lampe. Nous travaillons dans des conditions qui ne sont pas adéquates.
Bob: L’autre problème c’est la stérilisation des instruments chirurgicaux. Avant toute intervention, le matériel doit être stérilisé à très haute température. Faute d’électricité, le centre a recours aux moyens du bord.
Bob (scène): Donc vous mettez un d’eau…
Papa Lekum: Vous mettez un peu d’eau…
Bob (scène): On a un peu d’eau ici…
Papa Lekum: Ah non…
Bob (scène): On n’a pas d’eau…
Bob: C’est ce que m’explique Papa Lekum, le technicien en charge de la salle d’opération. Il me montre une grosse marmite en fer qui trône sur un réchaud à gaz. Quand le courant fait défaut et qu’une opération approche, il la remplit d’eau et la met à bouillir. Ensuite, il plonge les scalpels et les pinces dans l’eau bouillante pour les stériliser.
[BRUIT DE LA MARMITE ET DU COUVERCLE]
Papa Lekum: … Après on met de l’eau dedans… après 30 minutes, 1h on enlève…
Bob: Ensuite, le matériel est mis à refroidir pour être utilisé par les chirurgiens. Papa Lekum me dit que quand il n’y a pas de gaz, la marmite est mise à bouillir sur un feu de charbon de bois.
Bob (scène): D’accord, merci papa…
Dr. Lydie: Nous avons presque chaque semaine des femmes qui viennent accoucher ici, d’autres qui donnent naissance aux enfants prématurés. Ça fait plus d’une année qu’on nous avait doté de couveuses. On en a deux. Mais toujours par manque d’une bonne électricité, nous ne savons pas comment utiliser ces ces couveuses là. Nous, qu’est ce que nous faisons quand nous trouvons que l’enfant est né prématuré? On cherche à le transférer.
Bob: On transfère les bébés prématurés dans d’autres hôpitaux de Kinshasa qui sont mieux outillés. Mais le docteur Lydie me dit que ce n’est pas si facile. La famille doit trouver son propre moyen de transport pour le bébé. Et pendant ce temps, la mère doit rester au Centre de Santé pour recevoir des soins complémentaires.
Dr. Lydie: Pas plus de deux trois mois passés, il y a un nouveau-né prématuré qu’on demandait à la famille de l’amener ailleurs. Mais tellement la maman avait confiance avec nous. Elle a refusé catégoriquement. “Faites tout ce que vous pouvez faire. Je préfère que mon enfant reste ici.” Mais nous n’avons pas d’électricité, nous avons des couveuses, mais qui ne peuvent pas fonctionner. Le temps qu’on discute, l’enfant était décédé. Donc on a on a quand même des cas qui nous ont laissé avec beaucoup d’amertume par manque d’électricité…
Bob: Mais même quand les bébés sont transférés ailleurs, les choses ne vont pas forcément mieux. Même pas dans un grand hôpital comme Mama Yémo, où Ados a filmé sa vidéo.
[FIN MUSIQUE]
Bob: Si le système hospitalier est délaissé, certains secteurs de l’économie, comme les mines et les grosses industries, sont épargnés. Ados a confronté les autorités à ce sujet, mais cela n’a rien donné.
Ados: J’étais choqué, très choqué. J’ai pas compris. J’ai appelé le directeur de la SNEL. J’ai dit, “Mais comment se fait-il que vous privilégiez certaines entreprises, des expatriés où il y a du courant matin midi soir, mais là où on soigne des Congolais, vous n’y apportez aucun soin?”
[MUSIQUE]
Ados: Seuls dix pour cent des Congolais, je pense, ont droit à l’électricité. Donc nonante pour cent, c’est à dire plus de nonante millions Congolais, vivent dans l’obscurité, où certains n’ont jamais même vu l’électricité. C’est inacceptable. Nous avons l’un des plus grands barrages en Afrique qui peut alimenter presque toute l’Afrique. Pourquoi, nous, Congolais, nous voir sans courant?
Bob: Ce barrage dont parle Ados, c’est Inga. Un méga projet hydroélectrique dont la construction a débuté dans les années 1970, et qui continue à faire polémique en RDC et à l’étranger. Nous allons nous y rendre lors de notre prochain épisode…
[MUSIQUE]
Bob: Je m’appelle Bob Yala. Je suis reporter pour Radio Workshop. Ce programme a été produit par Jo Jackson, Clémence Petit-Perrot et Mike Rahfaldt. Martine Chaussard est notre éditrice. Musique par Blue Dot Sessions. Cet épisode de Radio Workshop et le travail de Children’s Radio Foundation ne seraient pas possibles sans le soutien financier de 11th Hour Project. Visitez notre site sur childrensradiofoundation.org pour plus d’informations et pour soutenir notre travail. À la prochaine…